Confucius et la pratique du Qi Gong

Auteur : Georges Charles
Shengren Daoshi San Yiquan

En 2013 parait le film « Grand Master » de Wong Kar Wai. Dès la séquence d’introduction, Tony Leung, qui joue le rôle de Yip Man énonce cette vérité « Le Kung-Fu c’est deux mots, horizontal, la terre, vertical, le ciel ». Et il ajoute doctement « Faites une erreur : horizontal, restez vertical et vous gagnez ! ». Il s’agit bien d’un film (très) grand public et la formule a, depuis, été reprise par tout un chacun. Évidemment c’est facilement compréhensible debout, vertical, vous êtes vivant, couché, horizontal, vous êtes mort. Donc le Ciel (Yang) vaut bien mieux que le Terre (Yin). Avouons que c’est quand même un tout petit peu primaire. Et très «occidental ». Mais d’où provient originellement cette formule ?

Concernant la doctrine de Maître Kong, alias Kongzi ou Confucius, elle semble devoir être attribuée à Wangbi (Wang Pi) (226 249) que l’on donne, en Occident comme un « Néo-Taoïste » et qui ne se prive donc pas pour critiquer la Maître : « Toute la doctrine du Maître Kong tient en deux caractères, exclusivement, Zhong et Shu. Zhong c’est s’élever au plus haut de soi-même, la verticale et Shu c’est s’ouvrir vers autrui, l’horizontale. Tout le reste n’est que laçage de sandales ! » Et paf !

Caractère Zhong : La Loyauté

Évidemment cela réjouit toutes celles et ceux qui pensent devoir détester Confucius par principe. Mais quels sont ces deux fameux caractères ?

Zhong (Ricci 1272) signifie fidèle, loyal, sincère, honnête, intègre. Shu (Ricci 4429) signifie juger équitablement, pardonner, absoudre « Juger et traiter autrui comme on aimerait l’être soi-même ». Zhong Shu signifie donc « Etre fidèle à ses principes mais indulgent envers les autres ». C’est l’intransigeance personnelle mais la bienveillance envers les autres. Cela rappelle l’adage québécois qui affirme « Avant j’avais des principes, maintenant j’ai des enfants (on pourrait dire aussi des ami(e)s…) »

Confucius, cinq siècles avant le Christ, avait dit, non seulement « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse (ou te fit) » mais « Fais aux autres ce que tu aimerais bien que l’on te fasse ». Ce qui est, n’en doutons pas, un sacré programme. Le caractère Zhong représente un Cœur (Xin) (je mets une majuscule car il ne s’agit pas uniquement de l’organe « pompe cardiaque » mais de sa fonction subtile) surmonté par ce qui représente une cible transpercé par une flèche, donc le centre, le milieu. « Lorsque la flèche atteint le centre de la cible elle produit simplement le son « Zhong » (Chong). Et un simple murmure d’approbation parcourt les spectateurs » (Tir à la Cour d’un Préfet, Livre du Rituel (Li Ji)).

Pas besoin d’applaudissements superfétatoires puisque la flèche a atteint la cible ce qui était son but. La flèche atteint son but, le centre de la cible et donc le cœur de celui qui assiste au tir. Il en est élevé. Pour le tireur c’est l’exigence personnelle sinon il doit retourner s’entrainer. Mais il n’en tire aucune vanité ni ne réclame aucune médaille. Si la flèche n’atteint pas le centre de la cible il n’incrimine ni l’arc, ni la flèche, ni la cible ni le vent ni les spectateurs. Mais il sait ce qui lui reste à faire et il le fait. Ce caractère Zhong a été tatoué sur le dos de Yue Fei par sa mère : « Jing Zhong Bao Guo » ; « Etre Loyal et Patriote à la Chine ».

« Être Loyal et Patriote à la Chine » Jing Zhong Bao Guo – le fameux tatouage de Yue Fei

Yue Fei (1103-1142) était un célèbre général pendant la Dynastie Song et un héros national. Il était surtout connu pour avoir défendu les Song du Sud contre les envahisseurs Jin. Il était aussi un stratège notoire, mais ça n’est pas son talent militaire qui laissa le plus profond impact sur le peuple chinois. Sa loyauté et sa dévotion devinrent un modèle pour la jeunesse chinoise.

Le Mémorial de Yue Fei se situe à Hangzhou et demeure l’un des lieux historique et touristique les plus visités de la Chine.

Un autre mot clé qu’oublie Wangbi est Zheng (Cheng) (Caractère Ricci 319) qui signifie droit, rectitude, rectifier, remettre droit. Le Maître Kong l’emploie lorsqu’un Prince lui demande ce qu’il ferait si il était à sa place et Confucius répondit simplement « Zheng Ming » ce qui signifie « Rectifier les noms » donc redonner aux mots leur juste valeur, les remettre droit.

Mais en chinois Zheng Ming signifie aussi le « bon sens ». Il répond au prince « du bon sens ! » ce qui est pour le moins osé. En passant, ce caractère Zheng est constitutif, avec la grande hallebarde à crochet (Ge) du terme Wu (Bu au japon) que l’on traduit malheureuse- ment par « martial » alors qu’il signifie littéralement « bravoure » ou par extension « chevaleresque ».

L’Empereur Kangxi explique « Le Brave (Wu) est celui qui est capable de faire cesser la violence sans nécessairement utiliser celle-ci ».
Il faut insister sur le terme « nécessairement » car si il n’y a pas d’autre moyen il convient donc de l’utiliser en retour.

Confucius est assez mal compris en Occident et, peut-être, plus encore en Chine. On en fait la parangon de la vertu, de l’ordre, de la hiérarchie pyramidale alors qu’il n’a jamais cessé de les critiquer ou, du moins, de vouloir les « rectifier ». Lorsqu’il fait l’apologie du Prince ou du système, c’est pour mieux pouvoir les critiquer. Mais il ne critique pas, il décrit un idéal dont on se rend compte rapidement qu’il ne correspond nullement à la réalité.

Il utilise, en quelque sorte, un mode superfétatoire en attribuant dix mille vertus au Prince ou aux grands de ce monde. Et les lecteurs prennent cela comme un modèle. Mais il suffit simplement de comparer ce qu’il propose à ce que fait le Prince pour comprendre qu’il est loin d’être un idéal.

Quand il déclare « Il convient simplement que l’Empereur se comporte en Empereur, le Prince en Prince, le ministre en ministre, le père en père et le fils en fils » on comprend vite que ceux-ci sont loin de respecter leur propre rôle et que chacun s’attribue des pouvoirs dont il ne devrait pas disposer ou échappe aux devoirs qu’il devrait remplir.

En 1989, Place Tian An Men, les premières banderoles qui ont été déployées par les étudiants en philosophie étaient « Non à la petite boutique de Confucius et à ses épiciers ».

Les journalistes occidentaux qui passaient parfois pour des sinologues en ont conclu « Les étudiants critiquent Confucius ». Or il s’agissait d’une supplique adressée par Wang Yang Ming (1472 1529) à l’Empereur pour dénoncer la récupération de Confucius par le pouvoir. Ce qui lui valut cinq années d’exil. Mais l’Empereur suivant admit le fait et rétablit Wang Yang Ming dans ses titres et ses fonctions.

Wang Yang Ming, qualifié à tort de « néoconfucianiste », est l’un des quatre personnages de l’histoire de la Chine à disposer de sa statue dans le Temple même de Confucius à Qufu.

Ce même mot d’ordre fut repris par le mouvement du 4 mai 1919. Puis par les étudiants. Le principe est simple : « Si vous voulez utiliser Confucius, utilisez le entièrement et non en le découpant comme dans une petite boutique ! » Il suffit de lire un passage de Daxue (Ta Hsue)

« La Grande Étude » attribuée à Confucius pour comprendre ce que Wang Yang Ming et les étudiants voulaient dire :

« Cela signifie que l’État doit faire preuve de plus d’intérêt pour cultiver les devoirs que pour rechercher les profits. Quand celui qui dirige une nation ne s’applique qu’à amasser des biens matériels, cela vient obligatoirement des hommes médiocres dont il fait grand cas. L’utilisation d’hommes de peu provoque l’arrivée de fléaux et de malheurs dans la nation en question. Aussi même si ils se trouve là d’excellents hommes il n’y peuvent déjà plus rien ». (Philosophes confucianistes La Pléiade Editions NRF Gallimard pages 565 566).

On comprend rapidement que Confucius ait pu avoir quelques problèmes avec le système politique. Dans ces conditions et avec une autre grille de lecture il est beaucoup plus critique du pouvoir que ne le sont Taoïstes et Bouddhistes réunis puisqu’il propose non de se retirer dans la montagne ou dans un temple mais de changer le régime de l’intérieur. On peut lui reprocher cet excès d’optimisme tout au plus.

« En toutes circonstances il convient de s’adapter aux circonstances. Mais toujours en conservant la Rectitude (Zheng) » Maître Kong alias Confucius.

Le première partie de la citation incite à toutes les compromissions, les collaborations, les soumissions c’est un fait. Mais immédiatement La Rectitude que l’on se doit de conserver limite les dégâts !

Concernant les Arts dits « martiaux » ou Arts Chevaleresques et les pratiques chinoises de santé et d’éveil, une grande partie de l’organisation des Ecoles provient de l’Ordre Confucéen ainsi que les principes de rigueur et de bienveillance. Il serait dommage de l’oublier.

Enfin, concernant Wang Yangming (alias Wang Shouren ou O’Yomei au Japon) le principe essentiel dont il conviendrait de se souvenir est « San Jiao He Yi » soit « Les Trois Doctrines (Bouddhisme, Confucianisme, Taoïste) s’unissent (ou s’harmonisent) en Un » . Ce qui met évidemment en rage les extrémistes de tous poils !